V. Lecture et instruction

La lecture, comme la prière, le livre comme le chapelet, font partie intégrante de la nourriture spirituelle de notre village. Comme dans toutes les agglomérations de la montagne libanaise, à hadeth, l'école fut ouverte en même temps que l'église. le pr&eacirc;tre qui célébrait l'office religieux, généralement un moine du monastère de saint-antoine-le-Grand,1 réunissait les enfants, les filles et les garçons, sous le vieux chêne et leur enseignait la lecutre et l'écriture. Il leur apprenit le syraique, langue liturgique des Maronites, l'arabe et les premiers éléments de calcul.

En 1913, les religieuses maronites ouvrirent à hadeth une école de jeunes filles. En 1914, l'enseignement fut arrêté par la force des choses. En 1918, les religieuses maronites rouvrirent leur petite éole, qui continue aujourd'hui encore à instruire nos filles. Elle a 120 places. Les Pères lazaristes - franqais - envoient un instituteur à Hadeth. Il est payé, moitié par eux, moitié par les parents de ses élèves. Il enseigne le français, l'arabe et le syriaque.

En 1938, le gouvernement ouvrit une école officielle pour les garçons.

En 1949, les Hadethins construisirent eux-mémes un bâtiment de 4 pièces pour l'école officielle qui est actuellement tenue par 2 instituteurs. Les 2 écoles préparent en principe au C.E.P.

La continuité de l'enseignement fait que l'analphabète est rare à Hadeth. La plupart des habitants savent lire et écrire. Mais entre le médecin, l'avocat, l'ingénieur qui ont fait des études supérieures et le simple cultivateur, il y a bien des niveaux à distinguer. Nous avons essayé de toucher toutes les couches de la société. Nous donnons les résultats de notre enquête avec une marge d'erreur assez réduite,

La première catégorie groupe des gens dont la lecture est hésitante, une écriture à peine lisible, avec de multiples fautes d'orthographe. Elle compte un total de 198 personnes dont 27 femmes et 13 hommes de pluss de 60 ans, 56 femmes et 41 hommes entre 40 et 60 ans, 38 femmes et 33 hommes entre 20 et 40 ans.

Tous ceux-là mettent à peu près 25 minutes pour déchiffrer une lettre venue d'Amérique. Ils arrivent à faire leur comptabilité bien simple en additionnant blé et pommes de terre dans les mêmes colonnes, bien entendu...Ils se débrouillent pour écrire une lettre et se faire comprendre de leur correspondant qui doit deviner plutôt que lire...

Cette catégorie n'a généralement appris à l'école que les tout premiers éléments de lecture. C'est pendant les soirées d'hiver, autour du foyer, et par simple curiosité, qu'elle a pu amasser ce bagage d'instruction sommaire.

A un niveau plus élevé, nous trouvons, et c'est la majorité absolue de la population, tous ceux qui lisent les journaux et, de temps en temps, un livre d'histoire qui leur tombe sous la main. Ils écrivent presque correctement. Ils font une comptabilité honnête. On peut les situer à un niveau bien plus élevé que le certificat d'études primaires.

Au-dessus de cette masse, il faut mentionner les 5 médecins, dont un seul a sa clinique au village, les trois étudiants en médecine: en France et Amérique, un avocat, trois licenciés en droit, un licencié en droit et ès-lettres, deux élèves ingénieurs dont un en Amérique, 19 étudiants et à étudiantes aux coll&egraveges et lycées du Liban, 5 étudiants à l'école des Arts et Métiers ou ayant fait des études de ce niveau. Ces 46 personnes représentent, si l'on veut, l'élite intellectuelle de Hadeth.

Mais cette élite est loin de tenir, à elle seule, la première place. L'argent joue un grand rôle, non comme moyen d'influence directe sur les votes ou les campagness électorales à différents degrés, mais comme facteur économique prédominant pour permettre à l'individu de paraître et de se maintenir au premier rang de la société villageoise. L'argent permet également d'avoir des loisirs pour s'occuper de la politique locale, on nationale, d'avoir des relations extérieures suffisantes pour pouvoir rendre certains services...ne fût-ce que dans des procès devant les tribunaux, où la recommandation d'un personnage haut placé n'est pas à dédaigner...L'argent permet qui le possède de prêter, à un intérêt modique, de petites sommes à ses partisans en difficulté pendant les périodes pénibles de l'année pour acheter le remède à un malade, pour payer l'hôpital ou le médecin, sauver la maison d'une hypothèque venue à échéance...Il est bien rare de noter des abus dans l'emploi de l'argent, sauf, cependant, qu'il est catégoriquement refusé aux membres des partis adverses.

Il demeure cependant que l'argent seul permet de faire des études poussées. Les m&eaucte;decins, les avocats, les élèves ingénieurs...ont une fortune suffisante, héritée ou acquise par leurs parents. L'enseignement, à son niveau supérieur, est un privilège des riches, jusqu'à présent.

D'ailleurs c'est le cas de tout le pays. On s'en plaint dans tous les milieux. Les journaux et les publications de tout genre se font l'écho, de plus en plus fort. de l'appel à la gratuité de l'enseignement à tou les degrés. Mais le gouvernement y réiste encore, soit par manque de crédits, soit par peur de voir la campagne désertée par les paysans. L'enseignement primaire est gratuit dans les écoles publiques seulement. Les villageois sacrifient leur fortune pour envoyer leurs enfants dans les collèges et dans les facultés. Tous les membres de la famille doivent faire des economies, même sur lent habillement on leur nourriture!

Ceux-là mêmes qui envoient leurs enfants à l'école publique du village se voient souvent obligés de s'imposer des privations quotidiennes pour économiser le prix du livre, du cahier et du costume scolaire. La dépense de l'enfant a l'école dépasse la moitié du budget familial, nourriture non comprise.

L'école tenue par les religieuses est payante. La jeune fille est envoyée à l'école au même titre que le garçon depuis quelques années. Nous comptons, en 1952-1953, 110 écolières pour 85 écoliers seulement. La différence entre le nombre des garçons et celui des filles provient de ce qu'une partie des habitants envoie ses enfants dans les villes...pour ne pas les mettre chez l'instituteur dont elle n'est pas satisfaite...

La fréquentation scolaire est de 100%, pour les deux sexes. Les parents, malgré la neige épaisse de plus d'un mètre parfois, conduisent leurs enfants, du moins les plus petits, deux fois par jour...Les deux instituteurs et les quatre religieuses qui donnent l'enseignement ne se permettent pas de repos. Même pendant les grandes vacances, on trouve à Hadeth trois à quatre petites écoles. En 1953, de juillet à août, il y avait deux écoles pour les jeunes filles et trois pour les garçons. L'effectif de chacune d'elles n'était pas très élevè, mais les instituteurs et les institutrices trouvaient de quoi s'occuper, même pendant les jours fériés.

Certains paysans se passent volontiers de l'aide de leurs garçonnets et fillettes pour les envoyer à l'école. D'autres font l'impossible pour rester au village pendant les mois d'été afin de perinettre à leurs enfants de continuer d'apprendre.

Quant au caractère de l'enseignement donné, c'est le programme officiel qui est appliqué: l'enfant apprend le français, on l'anglais, à côté de sa langue maternelle, les é1éiments de base de l'arithmétique, des notions de géographie, d'histoire, de sciences naturelles...Le dessin, un peu de musique ou de chant complètent l'enseignement. On ne vise pas plus loin que le certificat d'études primaires.

Mais les adultes complètent leur instruction par des lectures, même par des leçons prises le soir. La vie elle-même offre au villageois de multiples occasions d'achever son instruction sur des ploblèmes divers: le café, où l'on s'assied autour d'une table pour jouer aux cartes, aux échecs, aux dames...est une école.

On y soulève toutes les questions d'actualité: l'attention est constamment sollicitée par l'immédiat. Les abstractions philosophiques sont affaires de métaphysiciens, espéce inconnue au village. Les raffinements doctri naux, les idéologies nouvelles ou même anciennes, élans poétiques de tous genres, sont accueillis par un rire moqueur et un haussement d'épaules décourageant. Cela explique peut-être l'échec total des communistes depuis bien des années. Leur semence meurt en terre avant de voir le jour. Les autres partis politiques qui font de la propagande en avançant des théories et des programmes séduisants se sont heurtés à la même indifference ou à la même résistance. En dehors du chef du parti local, qui fait figure de chef de famille, le paysan ne reconnaît personne.

Les paysans qui ne savent presque pas lire ont leur littérature: il est des livres populaires qu'on trouve dans leurs maisons et qu'ils lisent durtnt les longues soirées d'hiver. Ces livres sont les histoires légendaires des héros arabes, écrites dans une langue très accessible, facile à lire et à comprendre. On peut les comparer aux chansons de geste du Moyen Age européen. Elles sont agrémentées de tirades des poésies populaires que le lecteur chante en remnant la tête d'admiration et d'enthousiasme.

<<Les Mille et une Nuits>> sont assez connues. Mais ces livres deviennent de plus en plus rares et ils ne sont pas réimprimés. On les trouve très déchirés, amputés de bien des pages. Ils faisaient les délices des grandsparents, des parents même de la génération actuelle de Hadeth.

Leurs lecteurs diminuent depuis qu'il y a des journaux écrits en une langue facile, à la portée du villageois. Remarquons que l'avènement de tels journaux ne date que d'une quinzaine d'années et que les lecteurs des vieilles légendes historiques ont déjà diminué de 50 à 60 %. Encore dix ans, et ces livres ne seront plus qu'un souvenir très faible dans la mémoire des vieilles gens.

Signalons, pour clore ces quelques remarques, que les émigrés, qui retournent chez eux, savent tous lire et écrire la langue du pays d'immigration. Il y a même des maisons où l'on trouve plusieurs personnes revenues de pays différents qui patient chacune une langue différente: les langues les plus répandues sont le français, l'anglais, l'espagnol, le portugais et l'italien. Divers dialectes africains et américains, de noirs ou d'hommes de content...sont également connus parce que les émigrés en avaient besoin pour leur commerce. 


1Ce monastère, qui se trouve dans une vallée affluente de la Kadicha, au-dessous de Ehden, avaitt des propriétés dans les environs de hadeth! Le moine-pêtre qui devait survieller l'exploitation se chargeait de l'enseignement.